lundi 29 juillet 2013

L'Apocalypse d'Arkahn


Une couverture qui en jette !

    "L'Apocalypse d'Arkahn" est enfin disponible chez Terriciaë. C'est un premier roman contant la chute d'un Empire galactique né il y a 220 000 ans. Le jeune Arkahn participe aux tenants et aboutissants de cette chute, en quittant la colonie terrienne d'Atlantis, 20 000 ans avant notre ère. Cette Humanité antédiluvienne doit composer avec les conséquences d'une histoire oubliée depuis la nuit des temps. Voici venu le temps de l'Apocalypse !

Disponible en commande sur Amazon et consors :  

    Je vous en propose la lecture du prologue :

    La fin. Un magicien sans rêve dans une ultime représentation. L’amphithéâtre était aussi sombre que le cœur de l’homme qui en foulait les dalles dures et froides. Une inscription rayonnante faisait office d’étoile isolée dans des ténèbres sculpturales le long d’une impressionnante coupole. Elle était la prophétie improvisée d’un illustre renégat. Écrite dans une langue magique ancienne elle délivrait un message unique à chaque personne capable de la déchiffrer. Il en était capable, lui Oraguur le grand She Valieh Tori archibicaïniste maître de la Guilde Triaglonique. Après lecture, la première chose qui lui vînt à l’esprit fut d’invoquer une cigarette prête à fumer dont la toxicité apportait un plaisir suave. Il consumait volontairement une partie de sa vie en une douce lueur qui dévoilait impudiquement son inéluctable fin.
    Le fugitif voulait donc apposer une prophétie indélébile que tous les responsables impériaux seraient obligés de voir, et en premier lieu l’Empereur. Infiltrer le cœur du palais impérial juste pour cela était intriguant. Le fugitif était là, tapi dans l’ombre, à observer sa moindre réaction. Acteur et spectateur immobiles. Aucun d’eux ne souhaite rompre ce fragile état de grâce d’une parole malheureuse. L’Empereur avait ordonné à l’archibicaïniste d’effacer toute trace de cet homme. Hélas, il ne pourrait effacer cette inscription. La pierre du palais était inaltérable. Pourtant cet homme avait réussi ce miracle. Voilà comment il avait réussi à lui échapper jusqu’à maintenant, en enchaînant les miracles. Oraguur était le plus grand archibicaïniste de l’Empire et un homme résistait à ses tours prodigieux par des miracles imprévisibles. Il était temps que cela cesse. Mais pour qui ? La prophétie le déstabilisait par sa justesse. Elle mettait en lumière ses doutes les plus inavouables quant à l’action juste et l’avenir de l’humanité. Ses ambitions s'annonçaient condamnées à l’échec de son vivant.
   Le fugitif avait fait sombrer la galaxie impériale dans l’horreur et l’Empereur avait aujourd’hui l’occasion de tout remettre en ordre avec son aide. Pourtant l’avenir était sujet à caution malgré l’espoir concret d’une sortie des ténèbres. Son expérience séculaire l’affirmait.
    La cigarette arrivait à sa fin. Le grand sorcier la jeta à ses pieds et l’écrasa pour l’éteindre. Le fugitif avait été son ami. Il avait été aussi empereur. Mais ses crimes étaient impardonnables, quelles qu’en soient les raisons. Tous les citoyens impériaux avaient été personnellement touchés par les tragédies innommables engendrées par cet homme, sans compter les chiffres astronomiques des pertes humaines. Toute la galaxie était à feu et à sang. 

    — La virtuosité de cette prophétie est ton ultime chef-d’œuvre ? demanda Oraguur.
    — Elle te fait voir ce que tu ne veux écouter, répondit l’homme dissimulé dans l’ombre.
    — Me faire renoncer à ma mission est un miracle hors de ta portée.
    — Quelle mission ? Je te suggère ta véritable quête.
    — Et quelle est-elle ?
    — À toi de me le dire.
    — Une quête sans fin de pouvoir qui doit nous inciter à nous entre-tuer irrémédiablement comme de vulgaires bêtes ?
    — Quête de contrôle plutôt. Tu as peur, comme tous les citoyens de l’Empire. L’Empire entretient cette peur qui vous limite et vous asservit.
    — Tu as de drôles de manières de nous en libérer.
    Un faisceau vertical de lumière inonda le centre de l’amphithéâtre imposant. Il menait directement au trône plus haut. Un vieil homme courbé, en robe princière et au visage décharné, se leva difficilement de son siège. Il regarda incrédule la prophétie qui brillait de mille feux au-dessus de sa tête.
    — C’était donc ça, souffla-t-il d’une voix rauque.
    — Empereur Egor Milliontis, vous ne devriez pas vous mettre en danger ainsi.
    — Silence maître de guilde ! Kay Kaïnan, montre-toi !
    Le fugitif sortit de l’ombre. Une aura écrasante se dégageait de lui malgré de sobres atours. Son regard trahissait une conviction inébranlable forgée à travers les siècles d’actes sans retour.
    — Le Kay... continua l’Empereur. Tu m’as joué un bien vilain tour.
    — Nécessaire, hélas, Egor.
    Le dénommé Kay Kaïnan fit apparaître dans ses mains une tablette dorée.
    — Egor, tu connais les raisons de mes agissements. Cette pierre porte le contrat divin d’alliance que doivent respecter nos incarnations.
    — Et alors ? soupira Oraguur. Je te félicite d’avoir déniché cette relique légendaire, mais en quoi nous concerne-t-elle ?
    Le Kay la jeta violemment à ses pieds où elle se brisa dans un tonnerre aveuglant.
    — Je romps le contrat et me libère de mes engagements. C’en est fini. Oraguur, tu vas mourir.
    — Cette misérable tablette t’obligeait à nous infliger toutes ces horreurs ? Ta folie n’a aucune limite.
    — Non, Oraguur. Au contraire, elle m’empêchait de poursuivre mes desseins. Tu t’accroches à une illusion de toute-puissance qui n’aura d’effet que de nous précipiter dans le néant.
    — Et que crois-tu faire ? J’ai réuni ici tous les atouts pour te mettre hors d’état de nuire. Tu inverses les rôles. Ton terrorisme abominable est terminé.
    Les ténèbres s’agitèrent autour d’eux. L’Empereur Egor tremblait et suait à grosses gouttes :
    — Oraguur, murmura-t-il. Le Kay a raison. L’Empire est contrôlé par la peur. Il a partagé son pouvoir avec son plus haut dignitaire, moi l’Empereur Egor Milliontis. Et je l’ai partagé malgré moi au peuple. Il nous est possible de matérialiser des choses indicibles, des sentiments primaires qui habituellement nous échappent, des rêves ou des cauchemars que l’on préférerait garder dans l’oubli de nos nuits agitées. Le prix de son obtention a été le meurtre d’un innocent qui ignorait l’importance de son legs, une jeune oracle aveugle au cœur pur à qui le Kay avait confié son pouvoir obscur dans l’espoir d’un avenir meilleur. Elle m’a montré à ses dépends les prodiges qu’elle était alors capable de produire. J’ai mal jaugé la teneur de ce pouvoir et les moyens de l’exprimer. L’horreur de mon acte et ma culpabilité se sont matérialisées petit à petit dans le palais par diverses manifestations psykinétiques avant de se transmettre à tous les citoyens de l’Empire. Tous se sont fait dévorer par leurs peurs croissantes qui prenaient forme. Les bêtes de cauchemar sillonnant l’Empire sont ses citoyens et mes enfants. Oraguur, tu m’as préservé de mes propres horreurs jusqu’à maintenant, mais aujourd’hui mon ultime gardien doit disparaître afin que je rejoigne mon peuple dans sa parfaite abomination. Tes immenses pouvoirs ne peuvent te préserver à jamais de tes peurs les plus profondes. Rejoins-nous. Livre-toi à l’Empire. Je te l’ordonne !
    — L’illusion qui aliénait la galaxie à un futur sans avenir est brisée Oraguur, dit tristement le Kay. Écoute ton cœur et choisis ta fin.
    L’Empereur gémit de douleur puis de soulagement. Il laissait enfin aller les tourments qui le rongeaient depuis si longtemps. Dans un hurlement inhumain, sa peau se liquéfia jusqu’à découvrir ses os. Des mandibules géantes claquèrent dans son dos. Une masse colossale émergeait. D’autres présences inquiétantes prenaient place dans l’obscurité de l’amphithéâtre.
    — Oraguur, appela le Kay. Tes pouvoirs nourrissent la peur de l’Empereur et celle de son peuple. Seul ton sacrifice calmera leur voracité.
    — Absurde ! Ils n’ont qu’à te dévorer toi. Tu es l’être le plus haï de la galaxie.
    — Et le plus aimé à une autre époque. Je n’ai jamais employé la violence pour soumettre mes principes au peuple, contrairement à toi sous couvert de protéger l’intégrité de l’Empire. Le système te rejette.
    — Pourquoi l’aides-tu ?
    — Tu étais près de découvrir la vraie nature de l’Empire et tu aurais cherché à le détruire avec les pouvoirs qui sont les tiens. Mais cela n’aurait rien changé pour le peuple qui baigne dans ses illusions impérialistes. Ils doivent le détruire de leur propre chef en toute connaissance de cause. Ton ingérence personnelle devenait problématique. Je préfère te devancer et m’assurer de...
    — Pourquoi t’écouterais-je ? Tu cherches à me déstabiliser. Ta prophétie ingénieuse ne me trompera pas.
    — Et si je te disais que l’Empereur Egor Milliontis reste en fonction, malgré ses erreurs et sa monstruosité, afin de te garder sous la coupe de l’Empire, pour ensuite te piéger dans ses serres machiavéliques. La souffrance de tout un peuple ne sert qu'à freiner ton ascension fulgurante et empêcher l’effondrement d’un Empire qui possède sa volonté propre et ses intérêts spécifiques. J’ai aidé le fondateur de l’Empire, le faux prophète Carion, régent caché de cette mascarade impériale. Puis j’ai trouvé et brisé la tablette d’alliance afin de conserver mon libre arbitre... Tu sais que nous partageons une essence commune, toi, moi et d’autres, elle est destinée à nous libérer de cette prison dimensionnelle. J’ai longuement réfléchi et je refuse d’accéder à cette liberté au détriment de l’humanité. Dans des incarnations précédentes, nous avons conclu un pacte sur cette tablette, car nous savions que nous aurions besoin de plusieurs vies pour atteindre notre objectif. Nos confrontations passées nous avaient amenés à des échecs cuisants. Il fallait un pacte assurant l’ascension de l’un d’entre nous avec le soutien de l’ensemble des partis.
    — Très bien. Je peux donc maintenant t’anéantir, raisonner l’Empereur, et réfléchir ensuite dans le calme à toutes ces nouvelles informations.
    Le Kay rit :
    — Tu es le plus beau monstre dont notre pacte a accouché. Je t’ai servi de tremplin dans notre course au pouvoir, et les autres t’ont soutenu jusqu’aux plus hauts sommets de la connaissance humaine. Tu es au-dessus de tout et pourtant tu n’as rien appris. Ta réalisation est un échec à mes yeux.
    — Qu’est-ce qui te donne le droit de me juger ? Tu es seul et exilé. Tous croient en moi. Tu craches sur l’espoir que je représente. Quoi qu’il en soit, tu n’as aucun moyen de me soumettre à tes desiderata abscons.
    — Tu es aussi hermétique que ces murs... Vois mon inscription rayonnante ! Sa présence est impossible, non ? Tu ne mérites pas la foi qu’on met en toi, car tu n’as pas la foi ! Tu dois être brisé et remodelé en fines poussières fertiles. Tu réfléchiras la lumière au lieu de la masquer !
    Le corps du Kay se mit à briller intensément avant d’exploser en particules chatoyantes. Oraguur était seul face à l’Empereur et ses monstres affamés.
Le sol dallé devint mouvant et glissant. Quelque chose suintait du plafond en abondance. L’amphithéâtre devenait la gueule écumante d’une bête. Des choses hideuses se ruèrent sur Oraguur pensif. Une barrière invisible les maintenait dans l’ombre malgré les cris terribles de leurs protestations.
    — Tu ne pourras pas... les ignorer longtemps, susurra l’Empereur squelettique d’une voix désincarnée.
    Leur rage, leur force et leur nombre croissaient de seconde en seconde. Une cacophonie infernale cernait Oraguur. L’Empereur cadavérique avança pas à pas dans sa direction.
    — Je sens... une pointe d’inquiétude... percer ta carapace orgueilleuse. Tu me sais... sans limites... dans mon palais.
    L’esprit surentraîné du bicaïniste analysait à grande vitesse tous les paramètres vitaux de la situation. Oraguur prit la fuite en un éclair. Le rire sardonique de ce qu’était censé être Egor Milliontis le suivit dans les méandres labyrinthiques et souterrains du palais. Les espaces innombrables dont les fondations constituaient le cœur de la planète géante Sanctis, capitale de l’Empire galactique, défilaient à une allure ahurissante. Il était prisonnier d’un Empereur fou, pourtant élu par un système millénaire qui semblait se dérober inexorablement au fil des dernières générations.
    L’Empire était né après un événement cosmique aux origines obscures, connu sous le nom de Jour de l’Oubli. Daté de quatre-vingt mille ans celui-ci marquait la reprise de conscience des êtres doués de raison. De manière subite, tous les peuples de la Galaxie Originelle ou Impériale se retrouvèrent allongés sur le sol, amnésiques et ignorants, ouvrant les yeux sur des mondes dévastés, à l’état sauvage. Aucun ne put se remémorer les événements passés ou antérieurs à leur réveil. Il fallut apprendre un nouveau langage et les connaissances de base. La conquête spatiale permit le rapprochement des peuples. On découvrit que tous n’avaient pas un patrimoine génétique commun. Hors mutations dues à l’adaptation naturelle aux environnements parfois extrêmes dans leur diversité ou originalité, les gènes souches semblaient avoir été changé quelques millénaires avant le le Jour de l’Oubli. Ils avaient subi une sorte de dégénérescence moléculaire subite. Leur stabilité en sortait affaiblie et offrait une prédisposition à une mutation rapide. Un seul peuple conservait une stabilité moléculaire supérieure aux autres, les Danciens. D’après les études effectuées au niveau nucléique, leur sang intégrait des particules infimes d'une variante des cristaux d’esprit.
    Ceux-ci étaient une ressource rare. Ils servaient à amplifier les capacités psychiques de tout être pensant. Filtrant les pensées parasites ils permettaient à l’esprit de se focaliser sur une action particulière. S’exprimer distinctement, même face à face, par télépathie, demandait un effort important à un esprit simple en proie aux afflux d’hormones et aux sollicitations extérieures. Les cristaux compensaient ces faiblesses. Un seul cristal d’esprit était remis à chaque enfant pour la vie. C’était un gage de cohésion sociale dans un monde complexe où la médiocrité n’avait pas sa place. Chacun devait apporter le meilleur de lui-même à tout instant d’activité.
    Les autres peuples en possédaient d’autres, eux-mêmes divisées en sous-branches. Cette constatation provoqua un conflit majeur envers la minorité Dancienne. C’était supposer l’impureté des non-Danciens et l’acceptation d’une ségrégation raciale. Au bord d’une guerre catastrophique, un prophète mystérieux nommé Carion déclara que les réponses viendraient des ruines du passé et de la mythologie, et non pas des recherches présentes où le sens des secrets révélés n’était pas celui qu’on leur prêtait. Carion prétendit savoir déchiffrer les écrits des Anciens antérieurs au Jour de l’Oubli, mais n’accepta de transmettre ses connaissances qu’à un nombre réduit d’initiés. Des représentants choisis avec soin par chaque peuple se présentèrent à lui. Au bout de quelques milliers d’années d’études à travers la galaxie en compagnie de Carion, ces représentants, semblait-il immunisés des affres du temps, affirmèrent unanimes que la raison de ces différences était que l’absence d’évolution des Danciens faisait d’eux les gardiens de secrets terribles qui confirmaient la nécessité du Jour de l’Oubli. Cette stabilité moléculaire était un fardeau que devaient respecter tous les peuples. Les Danciens seraient dorénavant les guides du peuple humain. Le choc de cette déclaration fut calmé par le statut sacré des représentants des peuples. Personne ne pouvait mettre en doute leurs propos et la justesse de leurs décisions. Ils déclarèrent la création d’un Empire commun à l’ensemble des peuples sous l’égide des Danciens.
    À cette fin, Carion organisa une formidable assemblée sur la planète des Premiers Éveillés du Jour de l’Oubli au pied de l’immense palais Sanctis, vestige intact et majestueux de l’ère précédente. Il décréta ce lieu comme capitale du nouvel Empire, Sanctis la planète impériale. En compagnie des représentants des peuples, il descendit dans des tréfonds du palais jusqu’aux vastes entrailles labyrinthiques de la planète, dans des galeries antiques couvertes de runes sacrées. Atteignant la dernière pièce du palais, ils découvrirent une large sphère bleue lumineuse. Au prix de grands efforts, ils la remontèrent à la surface à mains nues. Devant la foule ébahie qui les avait attendus trois mois durant, Carion exposa la sphère à l’entrée et proclama :
    — Voici la Sphère de Jugement ! Par son contact elle lève les doutes et révèle le destin des élus. Aucun peuple n’est supérieur à un autre. Tous sont libres de leur destin... sauf les Danciens qui ont le leur scellé. Que quiconque désire toucher la sphère puisse le faire.
    Carion rentra dans le palais et disparut à jamais.
    La foule se massa alors autour de la sphère, chacun la touchait avec l’espoir d’une révélation. Les mois passèrent, un flot intarissable se déversant sur le palais. Impassibles, les représentants des peuples contemplaient cette marée humaine et scrutaient intrigués la surface mouvante de la sphère. L’un d’eux, en retrait depuis leur retour à la surface, osa s’en approcher de nouveau. C’était Tanec, le plus juste et bon des représentants des peuples, qui la toucha. Son visage rayonna et fut marqué d’une rune en forme de croissant de lune ouvragé au front. Transcendé, il dit d’une voix si puissante qu’elle fut entendue partout dans le palais, comme amplifiée et véhiculée par les murs blancs :
    — Je suis Tanec le nouvel Empereur !
    Stupéfaits, les représentants des peuples et la foule murmurèrent d’appréhension.
    — J’accomplirai mon destin comme il se doit en mon âme et conscience. Que les sceptiques touchent à leur tour la sphère.
    À partir de ce jour, tous les peuples se rangèrent sous l’autorité des empereurs élus par la Sphère de Jugement. Leur règne était toujours facteur de justice et d’équité. Des périodes de troubles subsistaient lors d’absence d’élus et certains n’acceptaient pas que leur destin puisse être régi par une sphère mystérieuse. Malgré la présence des élus, les conflits se multipliaient au sein de la nation. Le nombre des instables croissait de manière inquiétante. Les instables étaient des individus au comportement psychique anormal. Atteints de déséquilibres à la naissance ou durant leur vie, ils devenaient la proie de pulsions ou de troubles majeurs sans raison apparente.
    Un des élus fut victime de ce mal. Les Danciens se croyaient à l’écart du problème. Ils constituaient la majorité des élus. Ce dernier refusa la fatalité et fut déchu de son titre après qu’il ait trompé ses proches en masquant la disparition de sa marque d’élu durant quelques années. Il partit en quête des savoirs oubliés. Son pouvoir grandit au fil des siècles en dehors de toute mesure.
    Sa soif d’apprendre engendra des fléaux inouïs. Il en vint à la conclusion que le genre humain issu du Jour de l’Oubli ne pouvait apporter que mort et destruction, qu’il était soumis à un mal incurable. Pour preuve, il provoqua la mutation de millions d’innocents en créatures hideuses assoiffées de sang. La guerre fit rage de nombreux siècles. Cet élu se nommait le Kay Kaïnan...
    Le prophète Carion était responsable de l’Empire. Oraguur devait le trouver avant d’agir. Le Kay lui avait dit qu’il était proche d’une vérité qui le pousserait à détruire l’Empire qu’il protégeait. Il n’était pas trop tard pour la découvrir, mais il sentait un piège. Le Kay avait soigneusement choisi les informations à lui transmettre. En prenant de court Oraguur, il avait les cartes en main et anticipait aisément ses actions. Oraguur hésita et arrêta sa course dans une caverne monumentale. Des éclats bruts d’énergie très dense dérivaient en de lents ballets colorés fantasmagoriques au cœur de cette majestueuse géode cristalline. Elle était un lieu de réunion secret pour des rituels importants.
    Des silhouettes se détachèrent de l’espace cristallin aux arabesques hypnotiques. Une femme se jeta aux pieds d’Oraguur.
    — Maître ! Que comptez-vous faire ?
    — Ayoris... Relevez-vous.
    Une beauté farouche aux grandes boucles de jade noir le fixait d’un regard ardent de dévotion. Une tenue ample et raffinée laissait entrevoir au travers de coupes franches et audacieuses des galbes suggestifs au charme ravageur. Une quantité de symboles ésotériques couvrait sa peau délicate à l’exception de son visage et de ses mains. D’autres personnages remarquables lui emboîtèrent le pas et constituèrent une foule organisée et disciplinée.
    — Tous les fidèles de la guilde sont présents, dit la voix grave d’un géant dont la carrure contrastait avec l’élégance svelte de ses pairs. Hormis Ryleh, tous les She Valieh Tori et nombre d’archibicaïnistes sont ici. La confrérie des Messagers de l’Aube est à vos ordres, maître Oraguur.
    — Est-ce que vous réalisez à quoi vous engage votre présence à mes côtés en ces heures confuses ?
    — Oui ! répondirent-ils tous en cœur d’une belle résonance qui perturba les flux vibratoires des énergies en équilibre de la caverne.
    Un homme en cape rouge équipé d’un masque et d’une épée s’avança :
    — Nous partageons tous le même but. Beaucoup ont été les frères d’armes du Kay Kaïnan l’Élu Déchu, et tous ont été les vaillants défenseurs de l’Empire... Mais l’ordre de l’Empereur de vous tuer n’a aucun fondement et nous le rejetons. L’intégrité morale de ce que pour quoi nous avons toujours combattu ne peut cautionner un tel acte. L’Empereur Egor Milliontis et l’Élu Déchu Kay Kaïnan sont coupables du massacre de milliards d’innocents.
    — Daryth, mes chers frères et sœurs, je ne sais pas à quoi nous nous exposons exactement, mais nous ferons la lumière sur les drames que connaît notre peuple selon les convictions humanistes animant notre confrérie.
    — À qui crois-tu... faire gober ça ? croassa le cadavérique Egor Milliontis apparu au centre de la caverne. Je vais vous montrer combien il est indigne de votre sacrifice inutile. Vous vous croyez à l’abri dans cette cuve saturée de Triaglon ? Je vais écraser votre misérable confré-rie de traîtres !
    L’Empereur sortit un orbe de cristal de sa robe et se mit à incanter de façon hystérique. Les ténèbres devinrent si opaques que les filaments arc-en-ciel de Triaglon errants en étaient masqués. Egor disparaissait de leur vue.
    — Il faut l’arrêter, cria Oraguur qui bondit en avant.
    Des créatures abyssales les ralentirent. Tous étaient confrontés à des abominations de plus en plus coriaces et imposantes. La puissance magique des hommes et leur virtuosité ne suffisaient pas. Le géant du groupe leva les bras en l’air malgré les assauts continus. Des membres de la confrérie se mirent en cercle autour de lui pour le protéger. Avec l'aide de leurs cristaux d'esprit, ils formèrent une barrière psychique. Le Triaglon ambiant se raviva et chassa une partie de l'obscurité qui abritait les sbires informes de l'Empereur. Egor réapparut en pleine transe, un cercle d'invocation à ses pieds. Il s'ouvrit le bras et en aspergea le centre d'un sang noir putride tandis que son cristal dressé dans une main scintillait vivement. La caverne du palais se mit à trembler. Bien que l'obscurité se soit atténuée, des monstres amorphes continuaient à les freiner. Leurs attaques soudaines ciblaient chaque parcelle d'inattention. Les membres de la confrérie ne savaient plus où donner de la tête. Le géant et son groupe cédèrent sous le nombre. Ils furent dévorés vivants, mais le géant tint bon jusqu'au dernier instant. Dans l'urgence, une quinzaine de bicaïnistes s'alignèrent de façon à créer un passage pour Oraguur et ses suivants. Oraguur les devança d'une détente spatio-temporelle alors que ses amis se sacrifiaient pour couvrir son échappée. Il devait passer le cercle d'invocation afin d'interrompre Egor Milliontis. Un mur invisible le stoppa net. L'invocation était terminée. Des colonnes de flammes sortirent du cercle et d'immenses griffes en agrippèrent les rebords.
    « Voici Kazgoroth, démon conquérant de l'Enfer ! jubila l'Empereur. Il est un pur produit du Kyo libéré par cet imbécile de Kay. Inutile de vous en apprendre davantage, je vais vous laisser faire connaissance. »
    Oraguur s'empara d'un filament de Triaglon brut qui flottait à sa portée. À son contact, le cristal d'esprit incrusté dans le dos de sa main fut saturé d'énergie et s'enflamma dans un éclat aveuglant. Il se concentra pour façonner le filament en une lance de lumière. L'énergie dégagée zébrait son corps d'éclairs et l'air ambiant vibrait de pulsations sporadiques. De son autre main, il employa son second cristal incrusté pour regrouper à distance les autres filaments épars. Une boule scintillante se forma.
    Une bête cornue à la gueule démesurée émergeait du cercle. Ses muscles disproportionnés battaient d'une rage sauvage. Son faciès inspirait une terreur indescriptible. Elle était le point culminant de ce que pouvait être l'horreur sauvage incarnée dans un être de chair. Les os comprimés par cette masse de chair gonflée et tendue à l'extrême transperçaient la peau en cornes intimidantes.
    Oraguur sauta avec sa lance au-dessus de la boule de feu énergétique. À son approche, il lévita au ralenti prêt à décocher sa lance contre la boule, le bras levé dans une dynamique sublime, les cheveux embrasés de lumière. D'une détente surnaturelle, la lance fusa sur la boule en la traversant verticalement de part en part en direction de la bête en contrebas. L'onde de choc mit à mal les protections des membres de la confrérie et plusieurs furent plaqués au sol. La matière de la boule s'agglutina à l'arrière de la lance comme le panache d'une comète. La lance perça des barrières invisibles au-dessus de la bête et pénétra l'épaule jusqu'au cœur dans une explosion tonitruante. Oraguur retomba au sol et vit qu'il ne restait rien entre lui et l'Empereur.
    « Tu croyais m'arrêter avec ce genre de démon ?
    - Avec ce genre oui, ricana Egor. Hélas... je n'avais pas prévu... que tu détruises mon cercle d'invocation... Maintenant... il va être incontrôlable... Je serai obligé... de le renvoyer dans ce cristal... après qu'il vous ait massacrés... Quel dommage.
    Il regarda tristement la sphère de cristal dans ses mains. Oraguur tenta d'attraper Egor au collet, mais il disparût aussitôt. Sa voix désincarnée résonna dans la caverne :
    « L'Empereur est insaisissable dans son palais. Tu le sais. Ce démon est à l'origine des bêtes de cauchemar qui se matérialisent dans la peur des hommes. Tu ne peux le détruire physiquement. Seul mon cristal peut le contenir. C'en est fini de toi. Voir Carion ne t'aurait servi à rien.
    - Pourquoi m'empêcher de le rencontrer alors ?
    - Tu n'as pas à le savoir. Tu ne le sauras jamais. Adieu Oraguur. Tu m'auras été de bon service. Je te dois la vie. Mon règne sans toi aurait été de courte durée.
    Oraguur resta silencieux. Les ténèbres revenaient. Quel sens donner à tout cela ? Les membres de la confrérie se réunirent autour de lui. Aucune issue n'était possible. L'Empereur pouvait sceller son palais à volonté. Il y était tout puissant. Cette caverne imprégnée de Triaglon était leur seul refuge. Ils pouvaient s'en servir pour organiser un baroud d'honneur. Oraguur avait besoin de temps. Il devait réfléchir. Egor maintenait la pression. Il savait qu'il y avait une échappatoire. Il devait y en avoir un. Le Kay était parvenu à se volatiliser. Il ne sentait plus sa présence. Comment avait-il fait ? Comment avait-il imprimé sa prophé-tie sur ces murs antiques ?
    L'air vibra. Quelque chose s'annonçait. Kazgoroth ! Chacun se mit à psalmodier et préparer d'épaisses couches de protection psychique en canalisant des filaments de Triaglon. Ayoris suppliait Oraguur du regard de prendre une décision. Personne n'osait ou ne savait quoi lui conseiller. « Indigne de votre sacrifice » se répéta mentalement Oraguur. Non, il allait trouver une solution. Ce stupide démon n'était qu'un leurre pour le distraire de son but. Il ne pouvait abandonner ses camarades. Egor le savait.
    Ayoris lui parla télépathiquement :
    « Si tu meurs avec nous, notre sacrifice sera en effet inutile... »
    Une pression terrible s'exerça sur leurs protections, au point d'en faire sauter plusieurs couches en confettis multicolores. Une silhouette floue se condensa soudainement devant eux. Le démon effrayant rugit d'une fureur saisissante. Leurs dernières barrières s'effondrèrent aussitôt. Il ne leur laisserait plus l'initiative. D'où lui venait une telle puissance ? Ils redoublèrent d'effort pour construire un meilleur rempart. L'évidence s'imposa à eux. Déjà redoutable, ce démon disposait en plus d'un Kyo, une manifestation élémentaire cosmique dont la puissance n'avait pas d'équivalent. Ce Kyo semblait manipuler la physique gravitationnelle de manière à modifier les rapports de force s'exerçant naturellement. Il pouvait transformer une poussière en missile mortel.
    Oraguur entrevit la faille. Si le démon usait de son Kyo de façon disproportionnée, l'énergie échapperait à son hôte et il devenait envisageable de la canaliser de l'extérieur. Une folie... Presque un suicide. La nature démoniaque de la bête lui offrait une marge confortable de tolérance. Il fallait susciter un objectif impossible. Peut-être qu'une diversion vers les parois indestructibles de la caverne qui était du même matériau que le reste du palais...
    Oraguur avança lentement vers le démon écumant. À chaque pas son corps absorbait des filaments de Triaglon et doublait de taille. Le démon surpris réagit d'une attaque de ses griffes acérées. Aidé de ses camarades, Oraguur utilisa toute sa vivacité d'esprit pour modeler et remodeler des barrières psy. Kazgoroth fut ralenti, mais la puissance de son Kyo forçait inexorablement les frêles défenses séparant ses griffes de l'impudent archibicaïniste. Oraguur atteignait presque la taille du démon. Il dévia alors les griffes pointées vers lui d'un vigoureux revers de la main, propulsé par le Triaglon accumulé lors de son étrange croissance. Déséquilibré, le démon bascula en avant tandis qu'Oraguur lui délivrait un crochet stratosphérique dans la mâchoire. Kazgoroth réussit à amortir légèrement l'impact avec une refocalisation, réflexe de son Kyo, mais il fut projeté à l'autre bout de la caverne. D'une roulade, il se redressa et chargea son ennemi qui l'esquiva aisément. Comment était-ce possible ? Son Kyo devait les clouer sur place. Ils se mirent à incanter à l'unisson. Le démon concentra de plus belle son Kyo sur eux, prêt à les broyer sous une pression phénoménale. Leurs défenses tenaient bon ! Enragé, Kazgoroth déploya toute sa colère en une salve colossale qui fit trembler la caverne et la planète entière. Ils étaient encore là ! Ces vermines ! Leur image se brouilla. Quelque chose clochait, mais son Kyo déchaîné embrumait son esprit.
    Oraguur, en pleine concentration pour élaborer l'illusion du groupe devant le démon, vit horrifié l'un des leurs devenu fou éviscérer un camarade. Son esprit n'avait pas tenu l'effort inouï demandé jusqu'à maintenant et avait glissé dans une schizophrénie meurtrière aiguë. Trois autres le tuèrent aussitôt, mais le mal était fait. L'illusion s'était troublée. Si le démon reprenait ses esprits, il découvrirait le subterfuge et leur fragile invisibilité.
    Oraguur avait abandonné son sort de gigantisme qui lui avait permis de capter son attention. Le démon se calmait et réfléchissait. Il devait le prendre de court. Ce serait à celui qui agirait en premier, même si une attaque-surprise n'était pas en sa faveur. Ils ne survivaient qu'unis et soudés en une seule action groupée. Toute dispersion était fatale. Oraguur allait briser son serment, se libérer de sa condition humaine et se noyer dans le flux cosmique. Avait-il une alternative ? Oraguur devait mourir. Cette identité était insuffisante face aux monstres qui s'en étaient affranchis depuis longtemps. Ils étaient donc destinés à s’entre-dévorer jusqu'au dernier. Sa quête de pouvoir juste et réfléchie était une utopie voilant la triste réalité d'une impasse qu'il refusait de voir. Les monocistes devaient en avoir conscience, eux qui s'harmonisaient à l'univers sans chercher à contrôler les éléments selon leur volonté. C'en était fini du héros Oraguur. Soit il mourait avec ses amis, soit il prenait la place de ce démon et continuait son œuvre de massacre jusqu'au jour où un autre le supplanterait. Kazgoroth les défiait de choisir. Il semblait dire « Regardez combien je suis puissant faibles humains qui vous vous revendiquez être l'élite de votre espèce. Oserez-vous braver les tourments de la damnation éternelle pour me soumettre à votre vindicte, ou vous laisserez-vous écraser comme de vulgaires insectes ? » Ils avaient décidé de se jeter dans la mêlée, ils devaient en payer le prix. Inutile d'espérer devenir un ange exterminateur qui ne serait qu'un démon déguisé. Ils n'avaient plus le loisir de se tenir à l'écart des conflits d'intérêt comme de sages monocistes. Ils avaient choisi une sphère guerrière et il fallait l'assumer. Nul artifice ou technologie ne les éloignerait de cette finalité.
   Oraguur s'élança à l'attaque. Il fit un bref signe signifiant qu'il initiait un assaut multidimensionnel avec des frappes conjointes. La coordination demandée requérait des capacités surhumaines qui ne pouvaient être soutenues qu'une minute ou deux pour les plus aguerris. Le démon maîtrisait sûrement le saut dimensionnel, mais le nombre de ses assaillants, dont les positions individuelles changeraient continuellement, le submergerait.
    Kazgoroth sentit Oraguur approcher et se retourna pour le charger à son tour. Oraguur et les membres de la confrérie se déphasèrent au moment où le démon engagea une onde de choc répulsive qui aurait dû tous les faucher cruellement. Ils se projetaient à une cadence psychédélique dans l'infinité d'espaces-temps alternatifs. L'un d'eux rencontra nez à nez le démon qui l'embrocha sur une de ses cornes. Un autre le croisa au moment où la gueule du monstre se refermait sur lui. Oraguur réalisa que le démon était très à l'aise dans cet exercice et se délectait de les intercepter un à un. La première attaque combinée fut un échec. Kazgoroth les avait précédés en dégageant une onde répulsive avant qu'ils ne puissent le toucher. Une dizaine de braves avaient péri sur le coup et les autres s'étaient esquivés de justesse. La deuxième attaque eut le même résultat. La troisième pareille.
    C'était une hécatombe. La plupart ne tenaient plus le rythme et devenaient des proies faciles. Oraguur devait réagir. Ils devaient encaisser l'onde de choc durant la quatrième attaque. Il débrida ses limites intellectuelles et laissa l'énergie pure l'envahir. Une folie sans retour. Il abandonnait sa conscience à l'étincelle bestiale qui le consumerait à jamais. Sa dernière volonté ferait ployer l'étincelle divine à un ultime outrage destiné à sauver sa misérable existence physique. Il accouchait d'un monstre auquel il s'enchaînait ad vitam æternam pour en détruire un autre. Ses amis sentirent le déclic et se préparèrent à faire l'impossible pour le suivre dans cette voie désespérée.
    Oraguur fut le premier à émerger de sa course dimensionnelle devant Kazgoroth. Ce dernier pressentit un danger et le bombarda d'une salve gravitationnelle mortelle. Une inspiration inhumaine suggéra à Oraguur une barrière spatiodifférentielle que le démon tenta de contre-carrer d'une force opposée. Oraguur était pris dans une stase stroboscopique entre attraction et répulsion. Son corps menaçait d'imploser sous la pression.
    Des cristaux se formèrent aux pieds du démon. Avec l'aide des rescapés de la confrérie protégés derrière la stase précaire d'Oraguur, Ayoris lançait un sort pluridimensionnel qui encaissait les ondes de Kazgoroth. Certains membres s'évanouirent exténués. La composition improvisée de cette toile cristalline en un mouvement uni sur différents plans dimensionnels était une prouesse miraculeuse.
    Le démon efforça d'adapter sa cadence à toutes ses attaques simultanées. Mais les cristaux s'agglutinaient inexorablement à son cuir comme une rose refermant ses pétales. Ils cherchaient à se cristalliser contre lui en absorbant sa force vitale dans une gangue hermétique. Kazgoroth ne se laisserait pas faire enfermer à nouveau dans un cristal de contention. Il lâcha son emprise sur Oraguur et concentra ses efforts à défaire ces mailles encombrantes. Ils pouvaient le désintégrer une seconde fois, il reviendrait, mais hors de question d'être emprisonné. Il désintégra rapidement les couches délicates l'enserrant. Soudain, Oraguur tomba sur lui malgré les épaisses barrières défensives qui auraient dû le repousser. L'archibicaïniste le matraqua de poings vengeurs entre les deux yeux. La brutalité insensée de ses coups brisait sa concentration. Il sentait les cristaux reprendre leur progression et envahir son être en profondeur. D'une main, il se saisit de ce moucheron survitaminé. Mais avant de faire quoi que ce soit l'homme lui fit exploser la main d'une décharge inattendue. Comment ce petit corps pouvait-il emmagasiner autant de Triaglon ? Oraguur lui sauta au cou et le mordit sauvagement à la carotide. Sa mâchoire changée en gueule immense et garnie de crocs redoutables réussit à pénétrer jusqu'à l'os. Les cristaux s'engouffrèrent dans la brèche sanglante. Le démon se figea aussitôt, statufié, avant de s'effondrer en un monticule d'amas cristallins. Son âme liée au cristal de l'Empereur s'en était retournée dans des limbes mystérieux.
    Oraguur, méconnaissable avec sa gueule difforme et sanglante, se tenait debout tremblant. Son esprit instable et saturé de Triaglon menaçait de faire définitivement muter son corps en un monstre imprévisible. Ayoris, très éprouvée, trouva la force de se relever et de tituber dans sa direction :
    « Non ! Ora, reprends-toi ! Tu as une mission à accomplir. Nous avons triomphé de l'impossible. Tu dois te ressaisir et continuer ! »
    Daryth, peinant à retrouver son souffle, la retint d'une main ferme :
    « Arrête Ayoris ! Il a choisi de sacrifier sa raison pour triompher. »
    Il dégaina son épée et s'approcha de son ami perdu.
    « Que vas-tu faire ? paniqua Ayoris.
    - Au fond de lui, il m'en supplie. Ses dernières onces de raison le font attendre le coup de grâce.
    - Et après ? Il est le seul capable de mettre fin à ces horreurs. Il a le pouvoir d'effacer le souvenir de cette époque abominable.
    - Et comment ? intervint un homme à la barbe impressionnante. L'Empereur est intouchable, le Kay inaccessible, et nous bloqués entre ces satanés murs.
    Daryth se mit à rire :
    « Nous pouvons terminer ce qu'il a commencé. Nous allons voir Carion et bannir l'Empereur. »
    Le barbu en resta bouche bée.
    « Daryth, tu vas m'aider ? demanda Ayoris. »
    Une vapeur noire se dégageait d'Oraguur immobile.
    « Le temps presse, dit Daryth. Le sceau des Tori n'est plus et l'essence malfaisante qu'il abrite n'a plus d'esprit solide où s'ancrer. Que veux-tu faire ?
    - Nous allons invoquer tout l'espoir de la galaxie dans ta lame.
    - Pardon ?
    - Nous allons invoquer un Kyo d'espoir qui lui redonnera sa raison et nous aidera à accomplir notre tâche.
    - C'est insensé !
    - Pas tant que ça. Toute la galaxie est affectée d'un désespoir commun si grand qu'elle appelle un espoir tout aussi grand. Si l'espoir du peuple est assez grand pour être sauvé, nous réussirons.
    - Mais comment canaliser leur foi ?
    - Regarde autour de nous. Ce Triaglon va nous y aider. Nous sommes au cœur de la planète capitale. C'est le lieu idéal pour capter leur espoir dirigé vers ce tyrannique empereur insensible à leurs tourments. Ils le prient d'abréger leurs souffrances. Nous allons répondre à leur prière et insuffler le vent d'espoir qui est la doctrine symbolique de notre confrérie des Messagers de l'Aube. Daryth, tu seras le porteur d'espoir qui transpercera les consciences égarées.
    - Attendez ! coupa une archibicaïniste occupée à régénérer péniblement les jambes brisées d'un confrère inanimé. Un sacrifice sera nécessaire pour canaliser le pôle contraire du désespoir. Sans cela nos chances d'invoquer un Kyo aussi vague seront infimes. Nous devons concevoir suffisamment et précisément cette notion abstraite qui est pourtant au cœur de notre dynamique existentielle.
    — En effet, soupira Daryth. Les moyens nous manquent pour...
    Le blessé inconscient s'était redressé l'œil fou et décapita son infirmière qui lui tournait le dos d'un revers de la main. Avant que les autres ne réagissent, l'ombre d'Oraguur fondit sur lui et déchiqueta le sorcier fou pour s'en repaître.
    « Établissez un périmètre de sécurité entre nous et les blessés ! ordonna Daryth. D'autres ont sûrement perdu la raison ou ont été contaminés par le démon. »
    Personne n'osait regarder le célèbre maître de guilde Oraguur dont l'aura noire ne cessait de croître tandis qu'il se délectait de sa pauvre victime autrefois son élève.
    « Et dire que cela nous choque à peine, grommela un illustre moustachu. Nous avons éprouvé tellement d'horreurs... Quand est-ce que cette surenchère impie prendra-t-elle fin ?
    - Quand nous remplirons notre mission ! s'énerva Ayoris. Je serai le canal. Commençons l'invocation.
    - Pourquoi toi ? demanda Daryth.
    - Je pourrai dire que j'ai atteint mes seuils de tolérance critique et que je serai plus utile morte qu'en bombe à retardement, mais ce serait mentir, car nous sommes tous dans la même situation. Oraguur s'est sacrifié pour nous et je me sacrifierai pour lui, comme nombre de nos camarades morts au combat. Plus pour lui que pour des millions d'âmes anonymes. Je pense que mon espoir de le voir rétabli est le plus fort parmi nous. Laissez-moi cette ultime satisfaction.
    Silencieusement, les valides formèrent un cercle autour d'Oraguur, Ayoris et Daryth. Ayoris s'avança courageusement vers Oraguur qui entamait le corps décapité de la malheureuse bicaïniste. Il se retourna vers Ayoris avec sa gueule terrible et des lambeaux de chair qui pendaient. Elle ne cilla pas. Elle l'envoûtait du regard, elle lui évoquait toute l'affection retenue qu'ils avaient pu partager. À quelques mètres, elle s'arrêta et le groupe entonna un chant mélodieux. La litanie s'envola à travers l'espace et le temps. Toutes les âmes suppliantes livrées à leurs démons s'incarnèrent en Ayoris. La gueule d'Oraguur refléta l'innommable qui terrifiait leur monde autrefois rassurant.
    La lame de Daryth s'enfonça dans le dos d'Ayoris, laissant couler un mince filet de sang. Un flux inintelligible de sensations étrangères et unanimes la secoua. La douleur se mua en soulagement. La souffrance allait cesser. Daryth pénétra la lame plus profondément. Le flot s'intensifia. La douleur resurgit. L'espoir devait naître de cette souffrance. Elle devait jaillir comme l'étincelle de vie surclassant l'arrivée imminente du néant.
    Une chaleur enflamma son cœur alors que le froid l'envahissait. Daryth la transperça de part en part jusqu'à la garde. Il se mit à courir en la poussant vers Oraguur figé, et l'empala à son tour contre elle. Son cri inhumain fit trembler toutes les consciences en communication. La lame brilla et devint translucide. Daryth la retira immaculée. Le cri se prolongea jusqu'à redevenir humain et plaintif. Oraguur avait retrouvé apparence humaine et pleurait le cadavre d'Ayoris effondré dans ses bras.
Le rituel avait bouleversé émotionnellement l'ensemble de l'assistance qui n'arrivait pas à retenir des larmes. Malgré ça, Daryth, après cette intense communion collective, affichait un sourire serein. L'espoir avait ressuscité de ses cendres.
    « Maître Oraguur, vous devez partir, annonça Daryth. Nous allons à la rencontre de Carion au centre du palais, et vous à celle du Kay.
    - Mais comment ?
    - Écoutez l'espoir nouveau qui réchauffe votre cœur.
    Oraguur était encore dévasté du sacrifice d'Ayoris et de la charge émotionnelle, mais elle lui avait insufflé un soleil radieux et chaleureux dans la poitrine... aussi lumineux qu'un soleil dans la nuit, aussi étincelant que la prophétie du Kay dans l'obscurité de l'amphithéâtre. Non, il ne faisait plus nuit, il faisait jour. Oraguur arrêta le flot de ses pensées. Il ferma les yeux et laissa les sensations l'emmener.
    Un vent frais et parfumé fouetta son visage. Lorsqu'Oraguur ouvrit les yeux, il était dans un champ de fleurs cerné par une mer bleu azur et des montagnes aux sommets enneigés. Une ruine aux colonnes élégantes l'attendait à quelques dizaines de mètres.
    Le Kay en sortit pieds nus, vêtu d'une toge légère. Il s'accouda à une colonne et applaudit :
    « Remercie tes amis. Sans eux, j'ignore combien de temps il t'aurait fallu pour lâcher prise.
    - Tu n'es pas le Kay Kaïnan. Tu ne l'étais pas même avant ta destitution.
    - Pas exactement en effet... Mais le principal y est. Tu te demandes comment tu as atterri là, n'est-ce pas ? Pour résumer, disons que nos deux volontés se sont accordées à cette fin. Tu sembles plus ouvert au dialogue.
    - Quels sont tes pouvoirs ?
    - Autrefois, j'avais une vision réductrice de mon Kyo, et maintenant ma conscience des choses s'est élargie. J'ai accès à la source de vie circulant dans chaque particule de cette réalité si subjective dont l'objectivité supposée n'est qu'un leurre grossier. Notre civilisation avancée en a conscience, mais se cantonne à des mystifications bicaïnistes stériles. Je partage l'accès à ce pouvoir avec qui le veut, au hasard des rencontres.
    - Tu l'as transmis volontairement à l'Empereur ?
    - Ouvre les yeux Oraguur ! Cela a accéléré le déclin inéluctable de l'Empire. Une crise apporte des solutions et des révélations, alors qu'un enlisement lent et progressif n'appelle qu'un vain fatalisme. Le peuple doit ouvrir les yeux sur sa responsabilité existentielle. Regarde-toi, tu en es la parfaite illustration. Au seuil de la mort, tu as réalisé dans quelle impasse tu t'étais fourvoyé. Tellement organisé et discipliné que tu perdais de vue l'objet de ta nature, ta subjectivité ! Tu ne sais plus qui tu es, car tu étais un autre. Cet autre n'était qu'une façade habilement structurée d'illusions dans un décor rassurant que vous appelez Empire et imposez aux autres. Intègre-toi ou disparais ! Cet Empire se nourrit de la peur que vous lui confiez. Il envahit tout et vous transforme en pantins serviles. L'Empereur a enlevé le masque de sa vraie nature de nid à monstres. Es-tu encore prêt à devenir le monstre qui t'était destiné ? Tes amis t'ont offert une seconde chance, à toi et à tous ceux qui veulent se libérer de cette peur aliénante. L'ampleur de tes pouvoirs t'aliénait Oraguur, et tu étais prêt à t'oublier pour en obtenir davantage. Mais à quoi bon si tu n'es plus le maître de cette machine folle ? Tu ne veux pas être ce démon que tu as soumis, tu ne veux plus lutter au nom de la peur d'être à ton tour écrasé. Tu ne domines rien, tu ne contrôles rien, tu es victime de ton illusion ! J'étais comme toi jadis. Maintenant, j'ai tout abandonné et mon pouvoir n'a jamais été aussi grand. Mon pouvoir pourrait être le tien, celui d'un homme libre en accord avec les éléments. Ta volonté serait celle du cosmos, ce cosmos qui vibre en chacun de nous.
    - Tu parles comme un monociste, mais tu n'en es pas un, pas plus qu'un dieu. Crois-tu que tes milliards de victimes te sont redevables ? Ton Kyo a été emprisonné sur la planète Enfer pour les mêmes raisons qui m'amènent ici, un Enfer pavé de bonnes intentions. Ce pouvoir n'a pas encore sa place dans ce monde. Tu as peur de moi et de l'espoir que porte chacun d'entre nous. Garde ta malédiction pour toi, tu n'as pas à décider du choix de notre liberté. De grands enfants gouvernant des enfants... Est-ce pertinent d'armer des enfants pour qu'ils s’entre-tuent et réalisent combien la liberté a du bon ?
    Le Kay sembla chagriné :
    « Tu as en partie raison. D'ailleurs, je pensais t'éviter de faire la même erreur.
    - Nous devons éprouver nos erreurs. J'ai assumé la mienne jusqu'à la fin. Prendre une mauvaise direction ne m'a pas arrêté. Je ne pouvais m'arrêter.
    - Nous sommes arrêtés maintenant. Te penses-tu capable de prendre une nouvelle direction ?
    Oraguur regarda ses mains. Il sentait le pouvoir affluer en lui. Son esprit apte à faire plier des montagnes attendait une simple impulsion pour partir en conquête des éléments. Il était une machine conditionnée à remplir ses objectifs. Cet esprit ne concevait pas d'objectif approximatif. Il était désemparé. Son espoir était inintelligible pour sa raison. Sa raison dictait ses actes et parfois tendait à se rapprocher de ses espoirs. Il était sourd à lui-même. Lâcher prise et espérer étaient-ils suffisants ?
    « Et si je te disais que tu ne trouverais pas tes réponses dans cette vie ? Tu n'es capable que de poser de mauvaises questions, tu es le fruit d'une maturation arrivée à terme. Tu as grandi amputé d'une partie de toi-même. Le sceau Tori t'a conditionné à être ce que tu es. Ce sceau n'est plus. Tu es perdu. Tu aurais plus vite fait de renaître lavé de cette identité que d'essayer de te transformer laborieusement. Combien d'erreurs cataclysmiques entreprendrais-tu avec les responsabilités qui sont les tiennes ? »
    Oraguur regardait toujours ses mains. Le Kay lui partageait son Kyo de vie, mais il le refusait. Il avait peur de ce qu'il pouvait en faire. L'exemple de l'Empereur le terrifiait.
    « Tu refuses la force créatrice. Tu refuses de créer des monstruosités avec ton esprit malade. Pourtant, chacun à son échelle, emploie cette force. Tu l'as développée à un tel niveau de maîtrise, mais tu as peur d'aller au-delà et qu'elle t'échappe. Regarde-moi. Des forces comme la mienne n'hésitent pas à se lancer dans la vie, quitte à bousculer l'harmonie cosmique, bon gré mal gré. La vie nous pousse à avancer sans comprendre tous les tenants et aboutissants. Nous manipulons des énergies qui nous dépassent, mais font aussi partie de nous. Laissons-les s'exprimer. Chantons leurs louanges et dansons à en perdre le souffle. »
    Le Kay se mit à chanter et danser.
    « C'est aussi simple que ça ! La peur d'un possible échec te paralyse. Laisse-toi le temps alors. Essaie, échoue, et recommence ! Oublie ce pouvoir qui est tien et mène une vie nouvelle dans une nouvelle direction.
    — Tu crois que je vais me laisser mourir après tes jolis discours ?
    — Mais tu es déjà mort ! Tu as eu un avant-goût de ta fin contre Kazgoroth. Essaie de vivre si tu en as le courage... Montre-moi qui tu es et nous verrons si j'ai tort.
    — Tu sais que ma mission consiste à t'effacer des mémoires afin de permettre l'arrêt des horreurs qui exterminent notre peuple.
    — Et tu comptes la remplir au nom de tes camarades défunts ? Encore sous le poids de tes obligations. Tu cours encore à ta perte. Tu répètes la même erreur sans chercher à en comprendre la raison. Toujours aussi borné...
    Oraguur et le Kay se dévisagèrent longuement.
    — Tu me ferais presque peur, Ora... Presque, car on ne peut se mentir avec le Kyo que je te partage. Tu n'écoutes pas, mais les élans de ton cœur ont à te parler.
    Une femme tatouée en simple paréo apparut derrière le Kay.
    « Ayoris ! souffla Oraguur. »
    Elle courut vers lui. Son cœur bondissait de joie, mais il ne pouvait y croire. Le Kay lui faisait une sinistre farce. Oraguur invoqua un bouclier de force entre elle et lui. Elle le heurta de plein fouet et tomba à la renverse. Elle le suppliait de la laisser approcher. Il n'écoutait pas.
    « Elle est morte Kay ! s'emporta Oraguur.
    - Pas pour ton cœur. C'est toi qui l'as invoqué. Tu pourrais vraiment la ressusciter si tu le désirais.
    - Ce n'est qu'une illusion fabriquée de toute pièce !
    - Si tu y croyais sincèrement, ce ne serait plus le cas.
    Oraguur regarda intensément Ayoris. Plus il l'observait, plus ses expressions devenaient authentiques. Sa barrière faiblit et Ayoris fut en un instant dans ses bras. Son cœur explosait de bonheur. Son parfum et ses baisers étaient bien les siens.
    Mais qu'était-il en train de faire ? Il sombrait dans un délire puéril. Il se sentit en danger. La pseudo Ayoris l'agrippa fermement tandis que ces traits se changèrent en ceux d'une créature hideuse. D'une impulsion triaglonique, il la projeta loin de lui, mais tout ce qu'il vit était une femme blessée à terre. Non ! Ce n'était pas possible. La vision de la créature se substitua à Ayoris brièvement.
    Le Kay souffla :
    « Au lieu de la sauver, tu la transformes en monstre avec tes doutes. »
    Oraguur était tiraillé entre son devoir et l'abandon à un espoir fou. Ses doutes se manifestaient par l'alternance des formes d'Ayoris pendant qu'elle disparaissait petit à petit.
    « Ce Kyo peut être un don ou une malédiction selon ce que tu en fais, dit le Kay atone. Écouter ton cœur est ton seul salut. Tu as besoin d'être sincère avec toi-même Ora. Hélas, je sais que cela t'est impossible. Tu as décidé que c'était impossible, alors ça le sera et restera, tant que tu seras Oraguur le grand archibicaïniste maître de la Guilde Triaglonique et She Valieh Tori, grand sauveur de la veuve et de l'orphelin. »
    Le Kay avait raison. Il voulait sauver la galaxie, mais il ne sauvait ni les êtres chers ni lui lui-même. Seule subsisterait la mémoire du grand Oraguur qui n'aura jamais failli à son devoir.
    « Tu fais bien de penser ça, car j'ai une faveur à te demander, dit le Kay qui captait ses pensées.
    - Et en quel honneur ?
    - Celui de te laisser remplir ta mission.
    - Tu bluffes ?!
    - Peut-être. Et si c'était le cas, que ferais-tu ? Ta présence ou ton absence en ces lieux ne requiert que mon bon vouloir. Dès le départ, j'avais décidé de te laisser faire. Mais avant il fallait que tu prennes conscience de certaines choses.
    - Et quelle est cette faveur ?
    - Au moment d'effacer toute empreinte de mon existence dans les mémoires, je veux que tu fasses de même pour toi.
    - Pourquoi ?
    - Cela me regarde. Acceptes-tu ?
   - Tu sembles bien sûr de toi Kay Kaïnan. L'Empereur s'est damné avec un seul crime, comment fais-tu avec les tiens ?
    - C'est simple. Je ne m'en sépare jamais.
    Le décor bucolique disparut dans un ciel noir et orageux. À la place du champ de fleurs se trouvaient des os à perte de vue, les montagnes étaient composées de chairs difformes et vociférantes, la mer était faite de couches de sang plus ou moins coagulé dans lesquelles gémissaient des êtres en lambeaux. Tous tendaient à se saisir du Kay étouffé dans un amalgame immonde dont les racines se perdaient aux quatre coins de cet enfer. La vision disparut et le Kay sourit :
    « Je vais me recueillir quelques millénaires sur cette planète. Je ne peux décharger mon Kyo à personne. Même pas toi Ora. Peut-être arriverai-je à recomposer cet enfer comme cette côte vierge et paisible. »
    Oraguur s'approcha du Kay et posa ses mains sur sa tête. Le rituel de l'oubli était amorcé. Un ouragan psychomagique se leva et balaya toutes les mémoires dans un fracas apocalyptique.
    Avant de perdre la sienne, un dernier souvenir d'Ayoris s'imposa. Il souhaita un instant ne faire qu'un avec elle dans une ultime sensation éphémère. Oui, il pouvait faire ce miracle en s'oubliant dans un acte vraiment magique. Quelque chose mourrait et une autre naissait. Il n'avait plus besoin de savoir pour comprendre. Son cœur battait. Son rêve vivait ! 
 
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La peinture de couverture est de Monsieur Louis Frégier, et date de 1968. Cette œuvre se nomme "La grande rose". Elle correspond étonnamment à la scène finale du roman dans la capitale Sanctis, avec ses cavernes et son palais. Je l'ai trouvée directement lors de ma première recherche de couverture. Monsieur Frégier habitait non loin et notre rencontre fut riche en émotion. Un homme épris d'histoire, de mythologie, d'ésotérisme, de chevalerie, de science-fiction, de grand talent, à l'atelier abondant d’œuvres remarquables. Une rencontre providentielle. Il m'a gracieusement proposé l'illustration de mon roman avec son tableau. Voici la page de la collection qui m'a frappé : http://juraspeleo.ffspeleo.fr/divers/peintres/fregier/

 

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