En route dans les méandres de l'imaginaire
J'entends les pas du Kay résonner dans
l'espace vide que nous partageons. Il marche calmement autour de moi.
Cet espace est brumeux, indéfini. Le sol est immaculé, solide, tout
autant que le Kay. Le rythme de ses pas est régulier, tel un
métronome. Le silence se fait lorsque je cherche à le définir.
L'écho vague de ses pas persiste. Une éternité pourrait passer. Il
ne tient qu'à moi de rompre le voile. Le reflet de mon image se
dessine. Juste un reflet, couronné d'une crinière sombre comme la
nuit. C'est moi sans être moi. Nous sommes les deux faces d'une même
pièce, une pièce à la base ferme sur laquelle repose une dimension
visible. Les deux faces ne peuvent être visibles en même temps.
J'ai choisi la face du Kay. Il ne parlera que lorsque je le
souhaiterai. Il m'avait dit de parler en mon nom. Mon imagination
fait parler ce reflet alors qu'il s'agit simplement d'une l'illusion
que j'ai choisie de créer. Je me compose un rôle plus grand que ce
que j'estime être. Le Kay m'incitait à être plutôt qu'à jouer.
Être son propre jouet, son propre outil. Je l'ai écouté, je me
suis écouté. Qu'est-ce qui a changé ?
Kay (K): Tu me fais parler à nouveau ?
Cowa (C): Je ne devrais pas ?
K: Rien ne t'oblige à quoi que ce
soit, à faire ou ne pas faire. Libre à toi.
C: Qu'est-ce que je suis censé faire ?
K: Qu'est-ce que JE ferais ? C'est ça
ta question ? Te sens-tu à ma hauteur ? Suis-je un héros ou une
légende pour toi ?
C: Tu es l'un et l'autre.
K: Pour les autres oui, mais pas pour
nous. On peut se croire un héros, un temps donné. On peut marquer
les esprits par cette idée persistante, mais il est difficile d'être
un héros perpétuellement, au jour le jour, d'une seconde à
l'autre, de manière indéfectible et immuable.
C: Être un héros un jour suffit
parfois pour une éternité.
K: Tout à fait. As-tu déjà eu ce
sentiment ?
C: Plus ou moins.
K: Plus ou moins, voilà les mots
justes. Je suis un héros plus ou moins. Veux-tu entendre le côté
plus ou le côté moins ?
C: Pourquoi devrais-je entendre le côté
moins ?
K: Parce que c'est en touchant le moins
que tu t'élèves au plus, et vice versa.
C: L'amplitude émotionnelle.
K: Elle est un tremplin. Faut-il encore
savoir sauter correctement.
C: Je reformule donc ma question.
Comment puis-je sauter correctement ?
K: Quand on vise les sommets, il ne
faut pas avoir peur de chuter.
C: Il faut alors que je cesse d'avoir
peur de chuter.
K: T'es-tu assez exercé pour ça ?
C: Sans doute pas, mais le temps
s'écoule irrémédiablement.
K: Alors il va falloir sauter comme tu
ne l'as jamais fait auparavant. Car tu as à choisir entre vivre et
survivre. Si tu ne sautes pas, tu te condamnes à une existence à
l'issue irréversible, à une impasse sans échappatoire. Si tu
sautes, tu prends le risque de réussir et de t'ouvrir à de nouveaux
horizons. Oui, il y a un risque, on vit toujours dans le risque de
mourir, mais on vit. Souhaites-tu vivre ?
C: Sauter, changer, s'adapter.
K: Aimer.
C: ...
K: Ta réponse est le silence. J'ai
aimé, jusqu'à exploser et me briser en milliers d'étoiles. Mon
amour est connu de tous, il est la colonne vertébrale de mon
histoire. Sans lui, j'aurais sombré dans l'oubli. Tu l'as raconté,
tu ne l'as pas vécu.
C: Sauter et vivre l'amour.
K: Quelle image étrange que m'envoie
ton époque. Tu sais de quoi je parle, mais tu doutes. L'amour est
folie, pas le doute. Tu as peur de sauter, tu as peur d'aimer. Cette
hésitation est un poids trop lourd pour réussir ce saut. Plonge et
traverse cette mer d'angoisse. Plonge et replonge jusqu'à dissiper
cette appréhension. Fais battre ton coeur tant que tu le peux,
laisse le te propulser plus loin que tu ne l'aurais jamais cru
possible. Tu l'entends parfois, enfoui en toi, fort et fragile à la
fois, tel une étincelle qui a besoin de s'embraser. Ton coeur
t'appelle, l'entends-tu ? Il tape à la porte de ta conscience.
Pourquoi ne lui ouvres-tu point ? Son langage est le tien, mais tu
l'écoutes si peu. Tends l'oreille. Il parle, comme parlait le rythme
de mes pas. Sereinement. Tu lui as donné un nom, mon nom. Un nom
pour te guider, pour le rendre audible à ta raison. Tu m'écoutes
maintenant. Tu es surpris. Il te conte des histoires, ton histoire,
si tu es prêt à me suivre. Inspire-toi de moi, sois le souffle de
ma pensée, fort et léger, pour te hisser plus haut, au-dessus des
nuages, sous la lumière du ciel à ta portée. Étends les ailes
dont tu as besoin, respire l'air autour de toi, à plein poumon,
enivre ton esprit du beau qui t'envahit. Tu es enfin toi, dans ton
élément, prêt à être le héros que tu souhaites.
S'élancer pour s'envoler.